Un régiment allemand face à l’offensive française du 16 avril 1917
Offensive Nivelle
Après avoir subi des pertes importantes lors de la bataille de la Somme en 1916, au début du mois d’avril 1917, la 183ème division d’infanterie allemande vient renforcer le secteur des villages de Chavonne, Soupir et Braye-en-Laonnois. Cette division a été créée à Cambrai en mai 1915. Elle est composée de recrues de Prusse, Hesse et Saxe. Au printemps 1917, parmi les régiments de cette Division se trouvent le 440e régiment d’infanterie de réserve (RIR 440), le 184ème régiment d’infanterie (IR 184) et enfin le 418ème régiment d’infanterie (IR 418), qui va retenir notre attention ici.
Le secteur alloué à l’IR 418 s’étend sur environ 10 kilomètres de large sur les hauteurs dominant les ruines du village de Soupir, et sur 20 km de profondeur de Soupir jusqu’à la ferme de Cour Soupir. Les soldats allemands y bénéficient pour se protéger de la présence de six carrières souterraines appelées Elefanten, Winkler, Kolberg, Äsculap, La Cour Soupir et Denk Höhle.
Le 16 avril 1917, quand la bataille commence, la ligne de front au nord de Soupir est divisée en quatre sous-secteurs allant de A à D avec deux lignes de tranchées, chacun sous la responsabilité d’une compagnie d’infanterie du 1er Bataillon. De la gauche vers la droite, ils sont occupés par la 1ère, la 2e, la 4e et la 3e Compagnie. Le 3e bataillon du régiment est en soutien et ses compagnies sont cantonnées comme suit :
- L’ensemble de la 10e compagnie dans la Elefantenhöhle
- Deux sections de la 11e compagnie occupant la Seitzlinie (voir carte), avec une section dans la Denkhöhle
- Deux sections de la 9e compagnie dans la Soupir Höhle, avec une troisième dans la Kolberghöhle
- La 12e Compagnie en arrière dans la Ostelriegel
- La 2ème compagnie de mitrailleuses se trouve en sous-sol avec 2 sections dans la Äsculaphöhle
- La SoupirHöhle abrite le poste de Commandement du 2ème Bataillon du Major Von Oven
- La DenkHöhle, abrite quant à elle le poste de commandement du 1er Bataillon dirigé par le Major Bade.
Comme on peut le comprendre aujourd’hui, un des paramètres de la défense allemande repose sur la capacité à protéger les troupes de réserve pour tenir la seconde ligne et aussi pouvoir contre-attaquer face à une attaque française en nombre.
Le 16 avril 1917, les soldats français du 172e Régiment d’Infanterie se lancent à la conquête du village de Soupir, et le soldat allemand Alfred Beermann de la 2ème Compagnie du 418e IR raconte :
« A l’aube, je venais juste de revenir de la tranchée quand le sous-officier de garde sonna l’alerte : « Les Français attaquent ! ». Comme je portais sur moi encore mon équipement je fus le premier à sortir. L’ennemi avait déjà envahi la deuxième ligne et se massait devant nos lignes dans de grands cratères. Cela signifiait leur perte car de nos positions nous avions une vue claire de l’intérieur de ces cratères. Avec seulement quelques soldats avec moi nous avons immédiatement ouvert un feu rapide. J’ai donné l’ordre de tirer seulement dans les cratères qui étaient plein à déborder, car il était essentiel que chaque coup porte. Nos tirs ont eu un effet extraordinaire. En un rien de temps quelques français ont cherché à s’échapper. Une nouvelle fois j’ai ordonné : « Tirez strictement à l’intérieur des cratères ». Car comme j’avais été entrainé j’étais le meilleur tireur de ma section. J’entrepris alors d’abattre ceux des adversaires qui tentaient de s’enfuir. Le Gefreiter Schulz chargeait les fusils pour moi ainsi il n’y avait pas de temps mort. Après chaque tir notre confiance grandi et je criai : « Aucun d’entre eux n’en rééchappera ». Tout à coup un avion apparut et lança une bombe sur notre gauche. Le camarade Eichoff fut touché et tomba à mes pieds, perdant son sang. Il est mort dans les bras de l’infirmier quelques secondes plus tard. Nous avons continué de tirer et plus que jamais des Français se sont repliés. Parmi eux il y avait un lieutenant. Le premier tir le manqua, mais il faisait des bonds trop lents. La seconde balle ne le toucha pas non plus. ; un juron s’échappa de mes lèvres. Finalement, avec mon troisième tir, je l’ai touché à la tête au moment où il essayait de rejoindre un trou d’obus. Il tomba et resta complètement immobile. A ce moment, sur notre gauche, là quelques Français ont essayé de pénétrer dans notre partie de tranchée. Le camarade Koschinsky nous a couvert dans cette direction. Il a fait du bon travail, si bien que nous avons pu calmement continuer notre tir de destruction. »… Soudainement des soldats français ont pénétré dans notre tranchée par derrière. J’ai vu un coup de baïonnette arriver vers moi mais je me suis sauvé en plongeant la tête la première dans l’entrée d’un abri. Capturé ! Les soldats français m’ont crié de sortir. Un français blessé pointa son fusil sur ma tête et était sur le point de tirer. Instantanément je me suis contorsionné comme une anguille. La balle ennemie a déchiré mon insigne de col. Le combat était sans issu. J’étais définitivement capturé. Mon apparence devait être affreuse. Comme me l’a décrit plus tard mon camarade Fritz, mon uniforme était en lambeaux et rouge du sang de mon camarade tué. J’étais livide par le choc. C’est ainsi que je partis en captivité. »
De son côté le Musketier H. Siebersleben appartenant à la 1ère compagnie relate lui aussi son vécu de cette journée :
« Enfin le 16 avril, un jour que je n’oublierai jamais, débuta l’offensive de l’infanterie adverse. Avec des cris d’urgence, les rares commandants appelaient leur poignée d’hommes. Les armes étaient couvertes de boue, les mains raides et douloureuses ; néanmoins, ici et là retentissait le bruit d’une mitrailleuse. Des grenades à main explosaient alors que nous rampions ou bondissions de trous d’obus en trous d’obus, perdant du terrain graduellement car nous ne pouvions pas endiguer la supériorité numérique des Français. C’était un chaos complet ! Mais l’ennemi hésitait ; ils n’avaient pas envisagé de rencontrer une telle résistance puis, comme si elles arrivaient du paradis, des réserves furent employées pour renforcer notre défense plus ou moins le long de notre position où notre troisième ligne de défense courait trois jours auparavant (Seitz-Linie). L’ennemi attaqua à plusieurs reprises, mais fut repoussé à chaque fois. Dès que l’obscurité vint, nous nous sommes repliés près d’Ostel puis dans la ligne de défense Malmaison. »
Au cours des combats de Soupir, la 183e division a subi de lourdes pertes en hommes et en équipement. Environ 5000 soldats ont aussi été tués ou blessés. C’est ainsi que les compagnies du IR 184 sont par exemple réduites à 25 /30 hommes en capacité de combattre. Il en est de même pour l’IR 418 et l’IR 440. D’autre part, environ plus de 2100 soldats de la division ont été faits prisonniers. Certains sans combattre car dans l’impossibilité de jaillir de leurs positions souterraines à cause de la rapidité de l’avance des soldats français. L’utilisation de lance-flammes par les troupes françaises a eu aussi parfois raison de la volonté de résistance des combattants allemands.
Epuisée, l’unité est relevée le 21 avril 1917 et quitte ainsi le Chemin des Dames. Pourtant, il semble qu’aux yeux du Haut Etat-Major allemand, le comportement des soldats de la 183ème Division durant la bataille ait été digne d’éloges. C’est ainsi que le 22 avril 1917, en récompense, le commandant en chef de la division, le général Georg Schuessler, est décoré de l’Ordre Pour Le Mérite, la plus haute décoration de l’Empire Allemand.
Yves FOHLEN
Sources :
Histories of Two Hundred and Fifty-one Divisions of the German Army. London Stamp Ech Ltd. 1919
Das Heldenbuch vom Infanterie-Regiment 418, Christian Leutnant Der Resrve. Karl. Frankfurt am Main, 1935
Pour l’offensive du 16 avril 1917, le 2ème Corps d’Armée Colonial (2e CAC) se voit confié un front d’attaque situé en plein centre du Chemin des Dames.
L’année 1917 est importante pour l’armée Française. Le front de Verdun est redevenu calme, le bilan humain a été terrible mais les Allemands ont été repoussés sur leur ligne de départ de février 1916. Un officier français, à la tête de la seconde armée, en est sortie vainqueur : le général Nivelle.
Depuis l’automne 1914, les troupes allemandes et françaises se font face sur le plateau de Vauclerc. Janvier 1915 y voit des combats violents mais ce secteur du Chemin des Dames devient une zone relativement calme jusqu’ à l’offensive de 1917.