"Tu crois qu'ils vont percer ?". Un point de vue allemand sur l'offensive d'avril 1917
Dans la colonne qui vient de traverser le village en ruines de Juvincourt et qui monte en ligne à La Ville-aux-Bois, deux soldats bavarois des troupes d’assaut (Stosstrupp) discutent de la prochaine offensive française. "Tu crois qu’ils vont percer ?" demande l’un et l’autre de répondre : "Cela ne sera pas si facile, si nous avons assez d’artillerie !" Ce dialogue apparaît au début du chapitre 7 d’un "roman de guerre" publié en Allemagne en 1931 avec une préface d’Adolf Hitler lui-même.
Der Glaube an Deutschland (« La foi en l’Allemagne ») est en effet l’œuvre d’un ancien combattant qui est devenu un nazi de la première heure, Hans Zöberlein. Avec un tirage de plus de 800 000 exemplaires, le roman a été un bestseller en Allemagne, mais il n’a jamais été traduit en français.
C’est un récit à la première personne. Tout porte à croire que le narrateur, Hans, n’est autre que l’auteur qui a utilisé ses souvenirs personnels et sans doute aussi son carnet de route. Un récit nazi, mais aussi un témoignage précieux sur l’offensive française d’avril 1917 vue du côté allemand dans un secteur précis du Chemin des Dames, celui du Bois des Buttes à La Ville-aux-Bois-lès-Pontavert.
Une réplique à À l’Ouest rien de nouveau
Paru en janvier 1929, "À l’Ouest rien de nouveau", le roman d’Erich Maria Remarque, avait été rapidement un énorme succès de librairie. 500 000 exemplaires vendus en mai 1929, et un million en juin 1930 alors que commençait le tournage à Hollywood d’"All quiet on the western front", le film réalisé par Lewis Milestone d’après le roman de Remarque.
Face à l’immense succès d’une œuvre considérée à juste titre comme « pacifiste », les milieux nationalistes réagissent. Des associations d’anciens combattants demandent que le livre de Remarque soit proscrit des bibliothèques publiques. Le film de Milestone est interdit en Allemagne dès le 10 décembre 1930, moins d’une semaine après sa première projection à Berlin. Les nazis ne veulent pas être en reste. En 1931, parait le livre de Zöberlein, avec des dessins du peintre Erich Reich, un ami personnel du Führer. C’est un pavé de plus de 800 pages dont Hitler vante l’exactitude historique, avec pour chaque bataille, « le jour et l’heure, le lieu et le secteur du front ».
Rien à voir avec À l’Ouest rien de nouveau dont la particularité est de n’indiquer aucun lieu précis et aucune chronologie des événements. Pour les nazis, il s’agit surtout de montrer que la guerre, loin de « pourrir » (verderben) toute une génération comme le montrait Remarque, l’avait au contraire endurcie, avant d’autres combats à venir.
Après janvier 1933 et l’arrivée au pouvoir des Nazis, alors qu’"À l’Ouest rien de nouveau" est jeté aux flammes et définitivement interdit, La foi en l’Allemagne est sans cesse réédité jusqu’en 1944. On en lit des passages aux enfants des organisations de jeunesse. On en fait aussi un film en 1934. Zöberlein le co-réalise et en écrit le scénario en se focalisant sur l’année 1917 à partir des chapitres 7 et 8 du roman. Rien d’étonnant donc si la première moitié de Stosstrupps 1917 s’intitule « Aisne – Champagne » et s’il y est question de la « Reimser Strasse », la route de Reims, l’actuelle D 944.
Hans Zöberlein (1895-1964) Né à Munich d’un père cordonnier, l’auteur de La foi en l’Allemagne a été maçon avant la guerre. Son itinéraire est celui d’un nazi de la première heure qui n’a jamais renié son engagement Après avoir combattu dans les corps francs en Bavière en 1919, il participe au putsch de Munich (1923), puis fait carrière dans la SA. Pour avoir massacré fin avril 1945 des civils de gauche à la tête de son groupe de Werwolf à Pentzberg au sud de Munich, il est condamné à mort en 1948. Sa peine ayant été commuée à la prison à vie, il est libéré pour raisons de santé en 1956.
Comment accepter un échec
« Vont-ils percer ? » s’interrogeait le soldat bavarois. C‘était début mars 1917. Après avoir raconté les montées en ligne et les coups de main, non sans vantardise, mais sans taire la faim ni les poux, Zöberlein doit admettre que les Bavarois, bien qu’ils se soient battus « comme des lions », ont perdu le Bois des Buttes au soir du 16 avril.
Ce n’est pourtant pas la percée attendue par les Français et le narrateur peut ironiser sur ce que déclaraient les prisonniers : l’offensive devait atteindre Amifontaine le premier jour et le camp de Sissonne dans la nuit suivante. Les Français étaient persuadés qu’ils « avanceraient dans du vide » puisque leur artillerie avait tout détruit après douze jours de bombardements, et que « la forêt de La Ville-aux-Bois avait reçu tant de gaz qu’il n’y avait plus âme qui vive ».
Extrait : L'évacuation d'Amifontaine (mars 1917)
C’est une image pitoyable de la guerre que nous voyons avant de monter en ligne. Des chariots chargés de paquets et des femmes en pleurs forment une longue file triste devant la Ortskommandantur. Amifontaine doit être évacué par les civils. Cela suffirait à nous mettre devant les yeux le sérieux de la situation. L’une des plus dures et des plus brutales réalités de la guerre, celle qui consiste à chasser des gens de chez eux, passe devant nous avec ses jurons et ses plaintes. Nous le comprenons et nous pouvons éprouver de la compassion. Une femme qui a lavé régulièrement notre linge arrive en pleurant avec ses deux enfants pour nous dire adieu. Ce n’est pas contre nous qu’elle doit en avoir, mais contre ses compatriotes. Nous lui expliquons qu’une grande offensive va se produire, qu’en conséquence Amifontaine va devenir un champ de ruines et qu’elle risque d’être tuée avec ses enfants par les obus français. Pour leur sécurité, ils doivent donc être soustraits au feu des canons. Elle s’en va en pleurant à chaudes larmes et elle nous souhaite bonne chance pour les jours à venir. Comme si nous souhaiter bonne chance, ce n’était pas faire le malheur de ses compatriotes.
À deux reprises dans son récit, Zöberlein s’attarde pour observer le paysage qu’il découvre depuis la route de Reims. En quittant le champ de bataille, ce coin de terre auquel il a « accroché un morceau de sa vie », il jette un dernier regard sur la forêt dévastée d’où émerge « le sommet dénudé et sableux de la Königshöhe », le nom donné à la plus haute des buttes par les soldats saxons l‘année précédente en hommage à leur roi... « À droite, c’est la plaine de Chevreux, encore enveloppée de gaz », et dans la brume du matin, « affreusement meurtri, le plateau de Craonne – le Winterberg, comme on dit dans la langue des soldats ».
Arrivé au repos à La Malmaison, Hans envoie une carte chez lui : « Suis revenu sain et sauf de la dernière bataille de l’Aisne ». Puis il écrit « plus de 120 adresses pour ceux de ses camarades qui sont restés là-bas, pour dire qu’un père ou un fils est porté disparu depuis le 19 avril 1917 et qu’il est vraisemblablement prisonnier ».
Après avoir subi des pertes importantes lors de la bataille de la Somme en 1916, au début du mois d’avril 1917, la 183ème division d’infanterie allemande vient renforcer le secteur des villages de Chavonne, Soupir et Braye-en-Laonnois. Cette division a été créée à Cambrai en mai 1915. Elle est composée de recrues de Prusse, Hesse et Saxe.
Après avoir subi des pertes importantes lors de la bataille de la Somme en 1916, au début du mois d’avril 1917, la 183ème division d’infanterie allemande vient renforcer le secteur des villages de Chavonne, Soupir et Braye-en-Laonnois. Cette division a été créée à Cambrai en mai 1915. Elle est composée de recrues de Prusse, Hesse et Saxe.