La Seconde Guerre mondiale et le Chemin des Dames
eptembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. La «drôle de guerre» commence : les troupes françaises, retranchées derrière la ligne Maginot, s’enlisent dans l’ennui. Tout se joue neuf mois plus tard, en mai-juin 1940, en grande partie dans l’Aisne. En deux mois, le sort de la guerre est scellé. Durant la drôle de guerre, l’armée française met en place des unités à Versigny, Sissonne, Marle, Guise et La Capelle. Les aérodromes, en particulier Couvron, sont le point de départ de nombreuses missions de reconnaissance vers la frontière belge.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent Belgique et Pays-Bas. Elles lancent également une seconde offensive stratégique à travers le massif des Ardennes en direction de l’embouchure de la Somme, dans le but d’encercler les alliés. Points stratégiques, l’aérodrome de Villers-lès-Guise et les gares d’Hirson et de Tergnier sont bombardés le jour même. Les blindés, assistés de la Luftwaffe, s’avancent vers le département de l’Aisne suivant trois axes parallèles : de Sedan vers Rozoy-sur-Serre et Montcornet, de Givet vers Hirson et La Capelle, et de Dinant vers Wassigny. Les chars allemands du général Guderian arrivent dans l’Aisne le 14 mai et occupent Montcornet le 15. Les premiers combats ont lieu dans la vallée de la Serre. « Le 16 mai au nord de l’Aisne, la situation est grave. Les divisions blindées allemandes se sont engouffrées dans la brèche laissée par la destruction de l’armée Corap, la route de Paris est ouverte. Les renforts arrivent mais tous les effectifs ne sont pas encore sur place », témoigne un soldat du 3e régiment d’automitrailleuses. Les forces allemandes prennent Vervins puis Marle et Dizy-le-Gros après plusieurs heures de combats.
Le 17 mai 1940, le colonel Charles de Gaulle, installé depuis le 15 à Bruyères-et-Montbérault dans le but d’établir un front défensif sur l’Aisne et l’Ailette barrant la route de Paris, parvient à reprendre temporairement Montcornet à la tête de la 4e division cuirassée. Mais le même jour, La Capelle tombe aux mains des Allemands.
Tout va très vite : le 18, les Allemands sont à Saint-Quentin ; ils bombardent Laon pour la première fois le 19 mai. Les Français tentent d’arrêter les Allemands sur la ligne de défense établie par le général Weygand sur la Somme, le canal Crozat et l’Ailette.
Toute la journée du 20 mai, les blindés français essaient d’arrêter la progression, d’abord au sud de Laon, puis sur l’Ailette, mais doivent se replier face aux infiltrations des unités légères allemandes. Des combats ont lieu près de la ferme d’Hurtebise (une plaque sur le mur de la ferme rappelle cet événement). Il s’agit alors avant tout de retarder l’offensive, pour permettre le repli des troupes et du matériel. Le front se stabilise d'Est en Ouest sur l'Aisne jusque Bourg-et-Comin, mais ensuite le front s'appuie sur le canal de l'Oise à l'Aisne, par Chavignon, Pinon, Vauxaillon dès les 20 et 21 mai jusqu'au 5 et 6 juin.
Début juin, les combats reprennent de façon intensive, notamment dans le Soissonnais et le long de la RN2 entre Laon et Soissons, à nouveau près de l’ancien moulin de Laffaux. Le 5 et le 6 juin 1940, le 27e bataillon de chasseurs alpins subit de lourdes pertes sur les hauteurs de Braye-en-Laonnois et Soupir, attaqué par les troupes de la 291e division d’infanterie allemande, qui tentent de franchir le canal de l’Aisne à l’Oise. Le 8 juin, l’Aisne est franchie par les Allemands, qui foncent sur la Marne puis sur Paris. Les combats sur l’Aisne et en particulier à Oeuilly sont racontés dans le livre 'Fantassins sur l’Aisne' de Lucien Carron. Le 14 juin à l’aube, les Allemands entrent dans Paris. L’armistice est signé dans la clairière de Rethondes le 22 juin 1940.
Le cimetière allemand du fort de la Malmaison regroupe aujourd’hui une grande partie des soldats allemands tombés dans les combats de l’Aisne en mai et juin 1940. Le monument du 27e BCA à Braye-en-Laonnois honore les morts des deux guerres mondiales de ce régiment d’élite, qui sera à l’origine du maquis de résistants du plateau des Glières.
Le 25 juin 1940, Adolf Hitler décide de revenir sur les lieux où il avait combattu durant la Grande Guerre. Il se rend ainsi à Laon, au fort de Laniscourt et à Cerny-lès-Bucy. En 1941, le nord du département de l’Aisne passe dans la zone interdite, rattaché directement au commandement militaire allemand. Les Allemands sont extrêmement présents autour du Chemin des Dames, avec plusieurs grands terrains d’aviation à Juvincourt, Samoussy et Couvron, depuis lesquels ils bombardent l’Angleterre.
Prévu en 1940, pour abriter le quartier général allemand destiné à coordonner l'invasion de la Grande-Bretagne, un grand complexe militaire est finalement proposé à Hitler à l’extrême ouest du Chemin des Dames entre les villages de Laffaux et Margival. Le choix du site, non loin de lieux où Hitler avait combattu pendant la Première Guerre mondiale, semble avoir été déterminé par la présence d'un tunnel et d'une profonde tranchée ferroviaire, d'un terrain vallonné mais aussi en raison de son égale distance entre Caen et Dunkerque, le gros de sa construction ne commençant vraiment que lorsque l'hypothèse d'un débarquement allié sur les côtes françaises devient de plus en plus probable.
Le site est choisi par le haut commandement allemand pour recevoir l’un des quartiers généraux d’Hitler. Il s’agit de l'un des vingt quartiers généraux du Führer (Führerhauptquartiere ou FHQ), qu'Adolf Hitler fait construire à travers l'Allemagne et l'Europe occupée. Le complexe est baptisé par les Allemands « Le ravin du loup 2 » : Wolfsschlucht II ou ASW2. Quelques-uns des quartiers généraux d’Hitler sont ainsi nommés : Wolfsschanze (« la tanière du loup », à Rastenburg en Prusse-Orientale) ou Werwolf (« le loup-garou », dans l'ouest de l'Ukraine). Il existe également un Wolfsschlucht I situé en Belgique au Brûly-de-Pesche près de Couvin, à moins de 100 km au nord-est de Margival d'où Hitler a supervisé une partie de la bataille de France en juin 1940 et un Wolfsschlucht III resté inachevé et bâti autour du tunnel ferroviaire de Saint-Rimay, dans le Loir-et-Cher, à proximité de la gare de Montoire-sur-le-Loir.
Les travaux du camp ASW2 commencent en 1942, ils sont menés par l'organisation Todt, qui emploie des prisonniers de guerre forcés et de la main d’œuvre locale. Le chantier mobilise plus de 12 000 personnes. Les bâtiments principaux se situent dans une faille profonde où passe la voie ferrée Soissons-Laon, à proximité immédiate d'un tunnel de 600 mètres qui doit pouvoir abriter le Führersonderzug, le train blindé du Führer. Il est initialement composé d'une trentaine de bunkers mais également de chalets d'agrément en bois : il est entouré, au plus près, par une première ceinture de protection composée de bunkers, casemates, et cloches d'acier abritant canons anti-char, DCA et mitrailleuses, et d'une seconde ceinture, plus éloignée, aux défenses plus dispersées et située à plusieurs kilomètres, ces deux lignes de défense étant chargées de prévenir une attaque terrestre ou aérienne. Au total près de 475 bunkers ou abris sont ainsi disséminés autour du camp.
Dès mars 1944, le terrain devient une zone militaire allemande sous haute protection et les habitants de Margival et de Neuville-sur-Margival sont évacués ; la population des villages environnants l'est le mois suivant. Une dizaine de jours après le débarquement allié, les 16 et 17 juin 1944, Hitler, accompagné de Jodl et de son État-Major, se rend pour la première fois au Wolfsschlucht II dans le but de faire un point avec les maréchaux von Rundstedt et Rommel sur l'évolution du front de Normandie. Rommel le persuade presque de se rendre les jours suivants dans son QG du château de la Roche-Guyon, à environ 150 km à l'ouest de Margival, espérant mieux lui faire apprécier la situation sur le front. Mais, la nuit suivant le départ de Rommel et Rundstedt, une bombe volante V1 ayant dévié de sa trajectoire explose à proximité du Wolfsschlucht II puis la région est survolée par des avions alliés ; ces évènements convainquent Hitler de rentrer immédiatement.
Le maréchal Model occupe le Wolfsschlucht II une dizaine de jours au mois d’août 1944 lors de sa prise de commandement du front de l'Ouest mais il doit l'évacuer assez vite face à l'avancée alliée. Apprenant que Choltitz n'a pas obéi à son ordre de brûler Paris, Hitler demande, le 26 août, que tous les V1 et V2 soient lancés sur Paris. Mais c'est le général Speidel qui réceptionne l'ordre au Wolfsschlucht II, et ne le transmet pas au maréchal Model, absent ce jour-là. Le camp est finalement investi par les troupes américaines après le départ des Allemands en septembre 1944.Il deviendra ensuite un camp militaire de l’OTAN puis de l’armée française jusqu’en 2000.
Le choc de l’offensive allemande reçu au début du mois de mai 1940, l’armée française tente de couper l’axe de pénétration allemand et envoie dans l’Aisne la 4e division cuirassée (4e DCR), sous les ordres du colonel de Gaulle. Celui-ci va lancer une contre-attaque le 17 mai au sud de Montcornet mais se replie ensuite par le Chemin des Dames en une guerre d’escarmouche en direction du sud de l’Aisne. Dans la matinée du 20 mai 1940, des éléments de la 4e DCR (Compagnie auto 249 et 349/22) venant de Bouconville-Vauclair se retrouvent bloqués par une unité allemande retranchée au point où le Chemin des Dames est le plus court et où toutes les armées passent à chaque guerre : le carrefour de la ferme d’Hurtebise.
N’ayant que des armes légères, la colonne fait appel à des unités blindées pour réduire au silence la ferme d’Hurtebise. À quelques kilomètres de là, du côté de Parfondru, le 24e BCC est en train de se replier lui aussi, bombardé et attaqué puis plusieurs jours. À 15 heures, la 3e compagnie du 24e BCC, qui se dirigeait vers Bouconville, est arrêtée par un officier d’état-major de la 4e DCR qui lui donne l’ordre de soutenir la colonne automobile bloquée à Hurtebise. Deux chars R35 sont donc envoyés sur le plateau, rejoint par un char de la 1ère compagnie, les défenses allemandes étant plus importantes que prévues. Les combats sont violents et selon l’historique du 24e BCC une arme anti-char est détruite, tandis que sur un autre rapport écrit fin juin, c’est plusieurs. Toujours est-il qu’« une partie importante de la colonne est dégagée », ce qui sous-entend qu’ils sont passés, peut-être pas tous... Cela ne dit pas si la ferme a été prise cependant, la colonne a peut-être pu passer en profitant d’une diminution des tirs allemands ou bien parce que leurs pièces avaient été détruites, cela n’est pas précisé.
Les pertes allemandes pour cet accrochage à Hurtebise sont inconnues, mais a priori aucun allemand n’a été fait prisonnier lors de cet engagement, et surtout aucun blindé allemand n’était présent. En réalité les chars français ne sont intervenus que pour permettre à la colonne automobile de passer et c’est tout, on est donc loin du combat où des unités françaises sont « attaquées de toutes part par des éléments blindés allemands » comme l’indique la plaque sur la ferme d’Hurtebise. Pour ce qui est des pertes françaises, un char est annoncé détruit à Hurtebise et un équipage porté disparu (Sous-lieutenant MOUCHET et son caporal-chef), probablement faits prisonniers. Entre le 17 et le 20 mai, le 24e BCC perdra 19 chars, et poursuit sa route vers Chavignon puis Soissons. L’ensemble de la 4e DCR, rassemblée au sud de l’Aisne qu’elle a réussi à franchir avec le soutien de la 44e DI, partira ensuite vers l’Oise puis Abbeville pour une nouvelle contre-attaque dans les derniers jours de mai.
À Braye-en-Laonnois, les abords du canal aujourd’hui propices aux promenades furent pourtant un champ de bataille il y a 80 ans. Dans la nuit du 1er au 2 juin 1940, 948 chasseurs alpins du 27e BCA prennent en effet position dans le bois des Quartiers et le bois de la Bovette, sur un terrain que le chef de bataillon André Mazaud décrit alors comme « jonché d’obus non éclatés, percé de trous d’obus et d’entrée d’abris écrasés ». Pendant quatre jours ils réaménagent d’anciennes positions de 14-18 tandis que de l’autre côté de la vallée les fantassins allemands se préparent à repartir à l’assaut.
Celui-ci se déclenche le 5 juin, les artilleries françaises et allemandes se rendant coup pour coup tandis que les chasseurs alpins tiennent le terrain, comme le résume l’historique de la 291e division allemande : « Dès la première demi-heure, il se révéla que les chasseurs alpins, troupe d’élite, avaient un moral élevé, de l’adresse et du sang-froid, cachés dans les bois des hauteurs et les buissons des bords du canal, ils laissaient les assaillants approcher pour tirer à coup sûr, leur causant des pertes élevées et les repoussant ». Le 6 juin à l’aube, ayant reçu des munitions, le 27e BCA peut maintenir une défense acharnée, mais sans réserves, il est débordé. Ainsi, dans la matinée du 6 juin, le lieutenant Jacques Romieu, 29 ans, commandant de la 2e compagnie, est tué alors qu’il couvre le repli de sa compagnie avec un fusil-mitrailleur.
Au soir du 2e jour de combat, les Français ont perdu 7 officiers, 5 sections sont hors de combat (tués ou prisonniers) et 80 gradés et chasseurs sont blessés et évacués. Les pertes de la 291e division allemande s’élèvent quant à elles à 458 tués et 1139 blessés, essentiellement supportés par le 505e IR. Ayant reçu l’ordre de se replier le 27e BCA rompt le contact le 7 juin à 2h30 et vient se placer en défense à Chavonne. Ce sont des hommes très fatigués, mourant de soif, avec un armement et des munitions réduites qui vont pourtant faire face aux attaques allemandes le 8 juin et contre-attaquer à 16h30 sur le plateau de Cys-la-Commune avant de se replier sous une chaleur accablante vers Courcelles puis Fismes.
Aujourd’hui un monument s’élève à l’emplacement du poste de commandement du lieutenant Romieu afin de se souvenir de ces hommes qui ont courageusement combattu sur ces coteaux escarpés.