La Chanson de Craonne
ent ans après, la Chanson de Craonne est devenue, en France, la chanson emblématique de la guerre de 1914-1918. Pourtant, l’histoire de cette célèbre chanson reste encore mal connue.
Pour en savoir plus www.chansondecraonne.fr
Il faut distinguer entre la chanson à trois couplets qui porte ce titre et qui apparaît en 1934 lorsqu’elle est publiée dans la revue Commune par le journaliste Paul Vaillant-Couturier et une chanson à quatre couplets où, à partir d’avril 1917, « C’est à Craonne sur le plateau… » remplace dans le refrain d’autres lieux comme Lorette, Verdun , la Champagne, l’Argonne, , la Somme… Une version intitulée « Le plateau de Lorette » datée « septembre 1915 » a été retrouvée dans un cahier de chansons.
Comme de nombreuses chansons créées pendant la guerre, la Chanson de Craonne est ce qu’on appelle une « parodie ». Elle utilise en effet la musique d’une chanson antérieure. Il s’agit de « Bonsoir m’amour », une chanson à trois couplets et deux refrains écrite en 1911 par Adelmar Sablon pour la musique et Raoul Le Peltier pour les paroles. A noter le début du second refrain : « Adieu m’amour, adieu ma fleur… » qui annonce le refrain « Adieu la vie, adieu l’amour… » .
Il est souvent affirmé que la chanson de Craonne a été imprimée pour la première fois en 1919 dans La Guerre des soldats, un recueil de récits écrits par Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier. En réalité, il ne s’agit pas de la chanson de Craonne mais de la chanson de Lorette qui donne son titre à un chapitre avec au refrain « C’est à Lorette sur le plateau… » Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont les Allemands qui ont été les premiers à publier les paroles de la chanson (avec « C’est à Craonne sur le plateau… ») dans La Gazette des Ardennes du 24 juin 1917. Avec cette chanson trouvée sur des prisonniers, ils voulaient montrer aux populations des régions occupées à qui était destinée cette publication, que les combattants français n’avaient plus le moral et aspiraient à la fin de la guerre.
Si la chanson a été chantée en public dans l’entre-deux-guerres, et en particulier par des chorales comme celle de l’Association républicaine des anciens combattants ou la Chorale populaire de Paris, il ne semble pas qu’elle a fait l’objet d’un enregistrement à des fins commerciales ou même militantes avant 1952. Cette année-là, elle est enregistrée sur un disque 78 tours par Eric Amado avec Odessa valse, une chanson composée en mémoire des mutineries de la Mer noire de 1919.
Dans son livre sur les refus de guerre, l’historien André Loez étudie les rapports où sont cités les chants des « mutins ». Il s’agit toujours de l’Internationale, l’hymne révolutionnaire composé par Eugène Pottier et jamais de la « Chanson de Craonne ». Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas été chantée : trois témoignages de combattants, en particulier celui du caporal Barthas publié en 1978 par Rémy Cazals, mentionnent ou évoquent ses paroles.
Ancien combattant, puis journaliste à L’Humanité et député communiste, Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) ne s’est jamais présenté comme celui qui avait écrit la chanson ni même comme celui qui en avait recueilli les paroles pendant la guerre. En revanche, c’est bien lui qui a publié en 1934 dans la revue Commune le texte de la Chanson de Craonne qui est connu aujourd’hui et qui a été enregistré par de nombreux interprètes depuis une cinquantaine d’années. Cette chanson à trois couplets et deux refrains présente cependant plusieurs différences avec les versions de la Chanson qui datent des années 1916-1919 pour en faire une chanson plus révolutionnaire.
Depuis une quinzaine d’années, on a retrouvé dans les archives militaires (contrôle postal) ou dans les archives privées des chansons avec des titres différents qui évoquent au refrain tantôt Craonne, tantôt Lorette (en Artois), tantôt Verdun ou d’autres lieux (une douzaine en tout). Où que soit situé le plateau « où il faut laisser sa peau », il s’agit toujours de la même chanson, avec la même structure (quatre couplets et deux refrains), et avec quelques variantes dans les paroles, en particulier toute une gamme de qualificatifs pour désigner les « gros »…
En l’état des recherches, aucun document n’a pu être retrouvé qui ferait mention d’une interdiction formelle de la chanson, ou d’une condamnation à mort d’un soldat pour l’avoir chantée. La forte prime promise avec la démobilisation immédiate à celui qui en dénoncerait l’auteur est une pure légende forgée après la guerre. Ce qui ne veut pas dire pour autant que ceux qui la chantaient étaient encouragés à le faire par le commandement ! La chanson est donc interceptée par la censure militaire car jugée « subversive ».
En dénonçant la « guerre infâme » et en qualifiant les soldats de « sacrifiés », la Chanson prend incontestablement position contre la guerre, d’autant plus qu’elle critique ceux qui ont voulu la guerre et qui ne sont pas dans les tranchées : les « gros », « ceux qui ont le pognon ». Sans propos injurieux contre les officiers ou même contre l’armée en général, elle est sans comparaison avec la violence des chansons antimilitaristes du répertoire anarchiste ou socialiste d’avant la guerre.
Malgré quelques revendications tardives, souvent sur la foi d’une copie dans un cahier de chansons qui était signée par le copiste (ce qui était souvent la règle), la chanson reste anonyme. A cause de la qualité d’écriture des paroles, on peut supposer que son auteur n’en était pas à sa première chanson et il semble difficile de suivre Raymond Lefebvre quand, dans La Guerre des soldats (1919), il attribue la chanson de Lorette à un « auteur illettré ». Tout au plus, peut-on supposer que l’auteur des paroles partageait les idées socialisantes sur une société divisée en classes antagonistes et sur la guerre, fléau de l’humanité.