L’attaque du 16 avril 1917 de Craonnelle à la ferme du Temple
Offensive Nivelle
L’année 1917 est importante pour l’armée Française. Le front de Verdun est redevenu calme, le bilan humain a été terrible mais les Allemands ont été repoussés sur leur ligne de départ de février 1916. Un officier français, à la tête de la seconde armée, en est sortie vainqueur : le général Nivelle. Il est nommé remplaçant du général Joffre en décembre 1916, et le gouvernement croit en lui pour la victoire finale. Il prépare donc « La grande attaque », en ce début d’année 1917. Elle doit percer le front est surtout elle doit amener la fin de la guerre, qui dure depuis trop longtemps.
Le lieu est choisi, se sera en Picardie, sur le Chemin Des Dames. Un secteur calme depuis la fin de 1914. L’attaque aura lieu sur un front de 40 kilomètres, avec 1 200 000 soldats, 5000 canons, 6 millions d’obus et 128 chars. Sur le papier, les chiffres sont impressionnants mais sur le terrain, c’est autre chose. Déjà, le relief est important et à l’avantage des Allemands. Ils se sont installés sur les meilleures places, les hauteurs, dès septembre 1914, à la fin de la bataille de la Marne. C’est donc une véritable forteresse naturelle que les Allemands occupent. En plus, ils ont construit en surface, plusieurs lignes de tranchées et abris bétonnés. Mais surtout, ils ont aménagé le sous-sol en creusant des tunnels et transformé d’anciennes carrières de pierre en véritable casernes, pouvant abriter des centaines d’hommes, avec toute la logistique que la guerre moderne impose désormais. Les Allemands veulent clairement garder ce territoire et surtout ne pas reculer. Depuis deux ans et demi, ils travaillent dur pour ne pas lâcher un mètre carré de terrain.
Côté Français, on prépare l’attaque avec un énorme bombardement du 9 au 16 avril. Il a une importance considérable : détruire les lignes ennemies et ouvrir le chemin de la victoire. Mais faut-il encore pouvoir repérer toutes les cibles ennemies et le camouflage dans l’armée allemande n’est pas un vain mot. Cette attaque sent le piège pour l’armée Française. Le général Nivelle est pourtant très confiant, mais en première ligne, c’est autre chose. Les soldats savent que le jour J, leur vie ne tiendra qu’a un fil. L’angoisse monte peu à peu, alors on essaie de penser à autre chose. On se concentre sur son travail pour ne pas trop penser. Après avoir décalé la date plusieurs fois à cause du mauvais temps, l’offensive est prévue à 6h le 16 avril 1917.
L’attaque de Craonnelle à Craonne
Entre Craonnelle et Craonne, c’est au 201e RI de Cambrai d’être en tête de l’attaque. Il a pour objectif la tranchée du balcon et le plateau de Californie qui dominent leurs positions de 90 mètres, autant dire un objectif difficile... Dans son journal, l’aumônier du 201e RI, Achille Liénart, désignera lui-même l’ordre de marche du régiment comme les « ordres insensés du général Nivelle ». A droite du 201e RI, le 1er RI doit reprendre le village de Craonne et l’est du plateau de Californie, qui domine toute la plaine. Ce régiment s’installe le 9 avril dans le bois de Beau Marais, terrain marécageux et inondé, et le 12 avril, le régiment adopte son dispositif d’attaque : le bataillon Codevelle a pour objectif le saillant du Jutland, la compagnie Aligard doit nettoyer et occuper le village de Craonne. De leur cotés bataillon Job et Allard seront respectivement en soutien et en réserve de l’attaque. Le plan établi, les hommes s’acheminent vers les parallèles de part à 5h du matin.
À 6h c’est l’attaque, mais l’effet de surprise n’aura pas lieu... l’état-major allemand déjà au courant de la date de l’offensive envoie des reconnaissances aériennes, et un avion allemand survole déjà les positions françaises et tire des fusées, déclenchant ainsi les tirs de l’artillerie allemande. Peu après, les soldats de la Garde et du régiment Elisabeth qui occupent Craonne et les hauteurs ouvrent un feu terrible avec leurs mitrailleuses.
Le 201e RI se trouve rapidement cloué au sol dans le ravin sans nom, sans espoir, jusqu’à ce que le capitaine Georges Battet et la 14e compagnie prennent l’initiative d’attaquer le Tourillon de Vauclerc, qui n’est pourtant pas dans la zone d’action du régiment, mais qui gêne sa progression parce que le 43e RI l’a laissé derrière lui sans l’attaquer ni l’occuper. Au prix de pertes sensibles, la 14e cie s’en empare et s’y installe jusqu’au boyau de Stauffen, dans la partie sud duquel il prend pied également. La 14e compagnie fait ainsi 40 prisonniers, s’empare d’une mitrailleuse, mais surtout permet au 201e RI, avec le renfort de deux bataillons du 33e RI, de prendre pied en fin de journée dans la tranchée du Balcon, où le capitaine Battet sera mortellement blessé par balle à la tête.
De son côté, le 1er RI, qui a la lourde tâche de prendre l’est du village, a un couloir d’attaque difficile, car pour atteindre les premières positions allemandes, il y a une longue vallée a découvert avant une forte pente, elle-même a découvert. Sur les hauteurs, au pied des premières maisons en ruine, les soldats Allemands ont bétonné toutes une série d’abris et le piège se referme sur les soldats français, qui laisseront eux-aussi beaucoup de sang dans la pente : le 22 avril, le 34e RI relèvera le 1er RI qui totalisera 779 hommes tués, blessés ou disparus, dont 16 officiers.
L’attaque de Craonne à Chevreux
Sur la droite de Craonne, le secteur d’attaque est confié au 233e RI. L’objectif de la journée est le saillant du Tyrol et de faire une progression de 8 kilomètres… là encore l’optimisme de l’état-major surprend les combattants. Les hommes arrivent le 9 avril sur ce secteur et peu à peu les plans d’attaque se bâtissent jusqu’au jour J. Le 16 avril, les 4e et 5e bataillons attaquent à 6h. Malgré de fortes pertes, le saillant du Tyrol est atteint et le régiment tient la rue principale de Craonne, mais face aux contre-attaques allemandes, les combattants doivent se terrer dans les ruines du village jusqu’à la relève. Dans la nuit du 21 au 22 avril, les premiers éléments du 18e RI viendront à leur tour chercher leurs tombes, tandis que le 233e RI regagnera Beaumarais, ayant perdu 115 tués, 380 blessés et 31 disparus depuis le premier jour de l’attaque.
Sur la droite du 233e RI, au nord-est, les 8e et 208e RI de Saint Omer arrivent dans le secteur le 8 avril et reçoivent pour objectifs le bastion de Chevreux, mais surtout de s’emparer ensuite du village de Corbeny en deux heures et du village de Berrieux deux heures plus tard... autant dire mission impossible. Assistant à la préparation d’artillerie et à l’attaque du jour J, le futur général André Zeller, alors officier de liaison, décrira dans ses mémoires des hommes conscients de l’énorme tâche qui les attendait et de leur résolution devant la mort. Ils ne le savaient pas encore, mais les plus grandes pertes de toute la bataille seront pour eux, à peine sorti de leurs tranchées… En effet, le 208e RI est presque anéanti en ayant fait 600 mètres. En face, il y avait trop de blockhaus garni de mitrailleuses que l’artillerie Française n’avait pas pu détruire, et c’est parfois sortant de la tranchée que la mort frappe, comme le capitaine Nesuis, du 5e bataillon, tué par balle quelques instants après avoir franchi le parapet. Sévèrement éprouvé, le 208e RI sera relevé le 18 avril. Avec des pertes plus faibles bien qu’importantes (200 tués, 560 blessés et 45 disparus), les trois bataillons du 110e RI de Dunkerque auront plus de succès sur les tranchées de la Plaine, de l’Enclume et d’Ever Pacha, parvenant à prendre cette dernière à 7h45, non sans l’appui déterminant des équipages du groupement Chaubès...
Le soutien du groupement Chaubès
En effet, devant la ferme du Temple, les premiers chars d’assauts de l’armée française sont engagés sur la droite du 110e RI. Près de 40 blindés Schneider du groupement Chaubès, rassemblant les AS3, AS7, AS8, accompagnés du 2e bataillon du 76e RI, doivent ainsi appuyer l’action du 5e corps d’armée dans le secteur du Bois des buttes et du Bois de Beaumarais, avec pour objectif Corbeny. Ces nouvelles machines de 13 tonnes, avec 6 hommes d'équipage, sont armées de deux mitrailleuses, et d'un canon court de 75 mm. L'espoir était grand pour leur toute première utilisation dans l'armée Française. Ils devaient arracher les barbelés et détruire les mitrailleuses ennemies. Mais les Allemands connaissent déjà les tanks, car les Anglais les ont utilisés dans la Somme en 1916. Pour stopper ces machines, les Allemands vont donc creuser des tranchées plus larges (5 mètres) et plus profondes (3 mètres), et c'est le cas de la tranchée de la Plaine sur la route dess chars du groupement Chaubès cette journée du 16 avril.
En cette journée d’offensive, leur objectif est en effet de prendre la première ligne allemande, soit les tranchées de Lützow et de la Plaine (entre Chevreux et le bois des Buttes). À 6h20, l’AS3 attaque à environ 200 mètres de la Ferme du temple. Soit 20 minutes après les premières vagues d’assaut. Le but était de laisser le temps aux soldats, de prendre les hauteurs de Craonne et ainsi, prendre le contrôle des postes d’observation ennemies, mais cette mission se révèle impossible dès les premières heures. Les Allemands gardent ainsi les hauteurs et les chars Français sont rapidement repérés, devenant très vite les cibles de l’artillerie artillerie. Ces derniers tentent bien de traverser la 1ère ligne allemande, en vain. Pendant toute la journée les chars bruleront dans les champs tandis que les avions allemands resteront maitres du ciel. Un fait va cependant permettre à la situation de se débloquer. En effet, conscient de ne pouvoir franchir les tranchées allemandes avec leurs chars, le capitaine Beltz, commandant de l’AS3 prend une décision pour laquelle il sera cité à l’ordre de l’armée quelques jours plus tard :
« Officier de la plus belle énergie amputé d’une jambe, volontaire pour l’artillerie d’assaut, commandant un groupe de chars, a déployé malgré un violent bombardement la plus grande activité pour assurer la progression de ses chars ; celle-ci étant arrêtée, a constitué des équipages de mitrailleuses qui a portées en première ligne aux côtés de l’infanterie de l’attaque. N’a quitté le lieu du combat qu’à la nuit. »
Par cette décision, tous les équipages des chars immobilisés vont ainsi former cinq groupes de mitrailleurs et vont épauler le 89e RI pour tenir la tranchée de la Plaine et prendre la tranchée de Magdebourg. Grâce au soutien des équipages et non des chars du groupement Chaubès, ce qui est paradoxal, le secteur entre le Bois de Beaumarais et le Bois des Buttes fut ainsi un des rares secteurs où, le 16 avril, les 9e et 10e DI progressent sensiblement, mais finissent par butter sur la route nationale n°44. Le lendemain, l’angoisse d’une contre-attaque qui ne viendra finalement pas tiendra en éveil tous les hommes, qui devront néanmoins supporter un violent bombardement à partir de 13h avant d’être relevés dans la soirée.
A l’heure de l’établissement des pertes, celles-ci s’élèvent pour la 9e DI à 22 officiers tués, 29 officiers blessés et 21 disparus, ainsi que 272 tués, 1100 blessés et 1117 disparus dans la troupe. Cet effort ne fut cependant pas vain puisque la progression dans ce secteur fut réelle, pour les trois journées du 16, 17 et 18 avril, le nombre de prisonniers recensés au camp de prisonniers du corps d’armée est important, avec 64 officiers, 235 sous-officiers et 2739 hommes capturés, appartenant principalement à la 5e division.
Bilan de l’attaque
Le bilan de cette offensive est une catastrophe. Ainsi que l’écrira André Zeller, alors sous-lieutenant au 27e régiment d’artillerie de campagne, « l'optimisme inconscient des plans établis » et l’espoir qui y était attaché, de percer les lignes Allemandes et de faire un grand pas vers la victoire finale, a été balayé par les mitrailleuses, dès les premières heures du jour J. Il a fallu une montagne de courage et de sacrifice pour avoir quelques succès. Cependant, le plus difficile reste à faire : conserver ce qui a pu être pris et surtout ne pas reculer. Mais ces quelques kilomètres de gagné ont coûtés trop cher à l'armée française. Pour le soldat, le moral tombe au plus bas. L'espoir de finir enfin cette guerre et d'en sortir vivant s'évanouit. La confiance dans les chefs vole en éclat et s'ouvrira bientôt la triste page des révoltes et des refus d'obéissance…
Cyril DELAHAYE
Sources :
SHD GR 26 N 260/4 – JMO de la 1ère DI
SHD GR 26 N 262/4 – JMO de la 2e DI
SHD GR 26 N 285/2 – JMO de la 9e DI
SHD GR 26 N 571/4 – JMO du 1er RI
SHD GR 26 N 680/11 – JMO du 110e RI
SHD GR 26 N 711/6 – JMO du 201e RI
SHD GR 26 N 714/13 – JMO du 208e RI
SHD GR 26 N 723/14 – JMO du 233e RI
Abbé Achille Liénart (préf. Catherine Masson), Journal de guerre 1914-1918, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008
André Zeller, Dialogues avec un lieutenant, Plon, Paris, 1971
R.-G. Nobécourt, Les Fantassins du Chemin des Dames, Éditions Bertout, Luneray, 1983
Pour l’offensive du 16 avril 1917, le 2ème Corps d’Armée Colonial (2e CAC) se voit confié un front d’attaque situé en plein centre du Chemin des Dames.
Depuis l’automne 1914, les troupes allemandes et françaises se font face sur le plateau de Vauclerc. Janvier 1915 y voit des combats violents mais ce secteur du Chemin des Dames devient une zone relativement calme jusqu’ à l’offensive de 1917.
Après avoir subi des pertes importantes lors de la bataille de la Somme en 1916, au début du mois d’avril 1917, la 183ème division d’infanterie allemande vient renforcer le secteur des villages de Chavonne, Soupir et Braye-en-Laonnois. Cette division a été créée à Cambrai en mai 1915. Elle est composée de recrues de Prusse, Hesse et Saxe.