Le zouave BONNEAU, une mort immortalisée
De nos jours la photographie de guerre nous confronte presque chaque jour à l’horreur de la guerre, à la mort, parfois même alors qu’elle vient juste de frapper. Ces photographies montrant l’instant où la vie s’échappe sont plus rares durant la Première Guerre mondiale, mais il en est pourtant une qui, au détour de recherches sur l’histoire de la ferme de la Creute, nous a interpellé.
Cette photographie négative noir et blanc sur nitrate de cellulose mesure 4,5 x 6 cm, elle a été prise par Georges CHEVRIER (1880-1940) alors que ce dernier effectue un voyage de Tunis au Chemin des Dames entre août et décembre 1914, accompagnant les hommes du 4e régiment de zouaves. Les négatifs de son reportage photographique furent glissés entre les pages d’un carnet actuellement conservé à la bibliothèque de la Ville de Paris.
Au-delà du sujet qui nous permet une représentation assez rare – pour ne pas dire unique – de la mort dans ce qui furent les premières tranchées de la Grande Guerre, ce qu’elle représente offre également un exemple de la démarche que l’on peut entreprendre afin de rechercher le parcours d’un combattant, et les différentes étapes qui permettent de le retracer, et c’est l’objet de cet article.
L’identification du zouave Bonnot
Afin de commencer les recherches pour identifier l’identité précise de l’homme qui est en train d’expirer sur cette photographie, les informations sont lacunaires. En effet, il est uniquement mentionné en légende « Sur le Chemin des Dames, mort du zouave Bonnot ». La date de cette photographie étant inconnue, si ce n’est de manière approximative (1914), il parait difficile de savoir exactement quand elle fut prise et de facto quand est mort le zouave BONNOT, une recherche est donc nécessaire en partant de l’identification du soldat tué. Le photographe ayant pris une série de clichés dans le secteur de la Creute à la même période, alors occupée par des combattants du 4ème régiment de zouaves (RZ), c’est probablement à cette unité que le zouave BONNOT appartenait, cependant aucun BONNOT du 4ème RZ n’est mentionné sur Mémoire des Hommes, et l’historique du 4ème RZ ne mentionne aucun BONNOT mort en 1914 . L’orthographie du nom ayant pu varier, deux combattants tués en 1914 sont susceptibles de correspondre : le sergent Désiré BONNEAU, tué le 8 novembre 1914 et le 2e cl. Joseph BONNEAU, tué le 23 octobre 1914.
L’indexation des « Morts pour la France » sur Mémoire de Hommes permet ainsi d’identifier avec davantage de certitude le zouave BONNOT de la photographie ainsi que la date de son décès, puisqu’un Joseph BONNEAUD, du 4e zouaves de marche (Matricule 8650 au corps – cl.1911 / 53 au recrutement de Pau) est effectivement mort pour la France, tué à l’ennemi, le 23 octobre 1914 à la Creute (Aisne).
La date de décès et l’identité étant déterminées avec certitude, la consultation de sa fiche matricule aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques permet de mieux connaître ce combattant décédé, et recroise les éléments déjà recueillis. Celle-ci permet notamment de découvrir que son nom exact était Joseph BONNEAU, qu’il était cultivateur à Montaut, dans les Basses-Pyrénées, qu’il faisait 1 mètre 58 centimètres et qu’il avait les yeux bleus-clairs. Incorporé le 11 octobre 1912, il avait embarqué pour la France le 16 septembre 1914 et à peine un mois plus tard, trouvait la mort à la ferme de la Creute. On y apprend également qu’il fut provisoirement enterré au cimetière de Troyon, et qu’un secours de 150 francs sera versé à son père le 29 mars 1916. En 1920, la médaille militaire lui sera décerné à titre posthume avec la citation suivante : « Brave zouave, est tombé glorieusement pour la France le 23 octobre 1914 au combat de la Creute d’Hurtebise. Croix de guerre avec étoile de bronze. ».
Les circonstances du décès
La date, la localisation et le nom exact du combattant et de son unité étant connues, l’on peut désormais tenter de déterminer les circonstances du décès de Joseph BONNEAU. Le journal des marches et opérations du 4ème RZ (SHD GR 26 N 839/1) n’apporte pas d’éléments précis sur l’occupation et les combats de la Creute en octobre 1914, si ce n’est une canonnade le 8 octobre 1914, 2 tués et 3 blessés au mur Est de la Creute le 11 octobre, et l’offensive menée par le 4ème RZ le 12 octobre qui entraine des pertes élevées pour le régiment. Le journal des marches et opérations du 2ème bataillon du 4ème RZ (SHD/GR 26 N 840/2) est quant à lui plus précis sur l’intensité des combats qui ont menés au décès de Joseph BONNEAU, sans toutefois mentionner sa mort :
22 octobre
Cantonnement à Jumigny. À 19h le bataillon se rend à la Creute. Un peloton de la 8e cie reste à Vassogne, le poste de commandement du chef de bataillon est aux grottes de la Creute ainsi qu’une section de la 5e cie, une section de la 6e cie et une section de la 7e cie. Le reste des cies occupe : 5e les tranchées est de la ferme, 7e la moitié est de la ferme, 8e la moitié ouest de la ferme, 6e les tranchées à l’ouest de la ferme. Vers 24h le zouave Cursolle est tué d’une balle au cœur pendant qu’il se rendait des cuisines à la tranchée de la cie. Le zouave Cursolle est inhumé dans les tranchées de la 6e cie près du poste de cdt du capitaine.
23 octobre
Dans la matinée quelques gros obus tombent dans le secteur. Aucun accident. Les cies améliorent les tranchées et approfondissent les boyaux de communication. Vers 17h30 l’entrée des grottes est bombardées par la grosse artillerie allemande. Le lieutenant de réserve Stéphani 7e cie est blessé à la joue droite par un éclat d’obus ainsi que le zouave Etienne de la même cie. Peu après le zouave Zurbrugg (7e) est tué dans les tranchées. Nuit calme, les travaux de tranchées continuent.
La sépulture du zouave Bonneau
Mentionné comme enterré au cimetière de Troyon dans sa fiche matricule, son corps dispose donc d’une sépulture que l’on peut tenter de retrouver pour aller au bout de cette démarche. Les cimetières militaires provisoires et la plupart des cimetières civils abritant les sépultures des combattants décédés étant rassemblées à l’issue du conflit dans des nécropoles militaires, le corps de Joseph BONNEAU a pu être transféré à la nécropole nationale de Cerny-en-Laonnois, la plus proche de Troyon. La consultation de la plateforme « Sépultures de guerre » mis en place par l’ONACVG et le Ministère des Armées sur le site « Mémoire des hommes » ainsi que Mémorial du Chemin des Dames permettent d’aboutir à un résultat : Joseph BONNEAU du 4ème RZ, né le 22/07/1891 et décédé le 28/10/1914 (c’est cependant le 23 octobre sur sa fiche), inhumé à la nécropole nationale de Cerny-en-Laonnois.
Conclusion
Le « zouave BONNOT » s’appelait donc Joseph BONNEAU si l’on se réfère à sa fiche matricule des archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, il était zouave de 2e classe au 4ème régiment de zouaves depuis 1912 et a trouvé la mort dans les combats de la ferme de la Creute (Aisne) à l’âge de 23 ans, le 23 octobre 1914, ses derniers instants étant immortalisés par un photographe ce jour-là. Si vous prenez la peine d’entrer dans la nécropole française de Cerny-en-Laonnois, allez sur la droite, jusqu’aux pins qui longent l’allée conduisant au cimetière allemand, puis allez vers le fond du cimetière. Là où commence l’avant-dernière rangée, sur la tombe n°2720, vous pourrez lire : « BONNEAU Joseph, 4e zouaves, mort pour la France en octobre 1914 ».
