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Vue aérienne (drone) du monument en hommage au 27e et 27e Bataillon de Chasseurs Alpins situé à Braye-en-Laonnois (Aisne)
[Vue aérienne] Le monument du 27e BCA à Braye-en-Laonnois, mars 2018
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Histoire
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Sur les pas des chasseurs alpins à Braye-en-Laonnois

Les combats de 1940

À Braye-en-Laonnois, les abords du canal sont aujourd’hui propices aux promenades. En suivant le sentier qui monte au plateau de la Croix Sans Tête à travers le bois des Quartiers, un panneau hors du temps surgit quand la lumière reparait à l’orée du bois, on peut y lire en lettres blanches : Monument 27e BCA. Encore quelques dizaines de mètres et se révèle alors le monument, dominant la vallée et l’histoire qui y sommeille depuis 80 ans. Cette histoire, c’est celle des 948 hommes du 27e bataillon de chasseurs alpins (BCA) qui prirent position dans ces bois et sur ces hauteurs dans la nuit du 1er au 2 juin 1940 avec une mission :  résister sur place.

L’arrivée du 27e BCA à Braye-en-Laonnois

Venant du secteur de Vauxaillon et Pinon où ils s’étaient installés dès le 18 mai pour défendre les bords du canal de l’Oise à l’Aisne, ces chasseurs alpins appartiennent à la 25e demi-brigade de chasseurs alpins de la 28e division d’infanterie alpine du général Lestien, qui a pour mission de tenir l’Ouest du Chemin des Dames et interdire la route de Paris. Entre Braye-en-Laonnois et Soupir, ce sont près de 2 km 500 de front que le 27e BCA doit désormais mettre en défense, au milieu d’un paysage de fourrés quasi impénétrables où la guerre a déjà semé le chaos. Le bois des Quartiers et celui de la Bovette sont en effet truffés d’obus non éclatés et d’ossements, de fils de fer barbelés rongés par la rouille et d’entrées d’abris écrasés.

Au milieu des vestiges de tranchées, alors qu’ils n’ont pas eu de repos depuis le 19 mai, les chasseurs alpins du chef de bataillon Mazaud organisent hâtivement des positions défensives sous une chaleur insoutenable. André Mazaud connaît bien le Chemin des Dames sur lequel il a déjà combattu alors qu’il était jeune sous-lieutenant au 1er RI, un certain 16 avril 1917 devant Craonne... Il sait que ce champ de bataille est difficile et exigeant, mais il faut être prêt à repousser l’attaque allemande. Celle-ci ne saurait tarder car de l’autre côté de la vallée, les bruits qui s’échappent du bois des Grelines où la 291e Infanterie-division arrive dans la nuit du 3 au 4 juin ne trompent personne.

L’attaque allemande

L'attaque du 5 juin 1940 ©V.Dupont-CD02
L'attaque du 5 juin 1940  ©V.Dupont-CD02

Le 5 juin, alors que les premières lueurs du jour percent les côteaux du Chemin des Dames, c’est par un Trommelfeuer d’une violence inouïe qui débute à 3h50 que l’attaque allemande commence. Dix minutes plus tard, les bords du canal se remplissent de canots pneumatiques, de radeaux et de passerelles tandis que l’artillerie française riposte par un violent tir de barrage. L’infanterie allemande traverse le canal, estimant que la résistance française va être rapidement balayée, mais dès la première demi-heure la résistance française se montre inflexible, les FM 24/29, fusils et mousquetons Mle 1916 des alpins opposant un feu nourri aux Allemands, ainsi que le relate l’historique de la 291e Infanterie-division :

Il se révéla que les chasseurs alpins, troupe d’élite, avaient un moral élevé, de l’adresse et du sang-froid, cachés dans les bois des hauteurs et les buissons des bords du canal, ils laissaient les assaillants approcher pour tirer à coup sûr, leur causant des pertes élevées et les repoussant. [...] Le feu mortel des chasseurs français couchés dans leurs trous invisibles et les tirs d’arrêts de l’artillerie autour du point de passage, firent échouer toutes les attaques, malgré le sacrifice des officiers et des sous-officiers.

À partir de 5h00 les bombardiers en piqué allemands, les tristement célèbres Junkers 87 Stuka, viennent soutenir l’assaut de leurs fantassins qui ne parviennent toujours pas à progresser. A 6h20 l’attaque allemande est enrayée et les officiers supérieurs allemands doivent payer d’exemple pour relancer l’attaque, non sans difficulté, ainsi que le rapporte l’historique de la 291e Infanterie-division :

 Tout d’un coup se déclenchent dans les épaisses haies qui séparent les pâturages de la rive ouest du canal, des tirs violents de mitrailleuses qui prennent à revers et de flanc les premières vagues d’assaut. Sans pitié et tirant à coup sûr à très petite distance, les chasseurs de la 3e compagnie du 27e BCA abattent tout ce qui remue encore. Tous s’élancent à toute vitesse à travers les buissons de la rive pour gagner le terrain libre sans se douter que la mort y est aussi certaine que dans le petit fossé d’écoulement qui longe les haies derrière le talus du canal. Dans ce petit fossé tombent sans mouvement les victimes de l’un des tireurs de précision qui se sont très habilement établis dans un bosquet de la rive et qui abattent tous ceux qui cherchent un abri dans ce fossé. […] La résistance des Alpins reste inébranlée, leurs mitrailleuses, impossibles à repérer, frappent à coup sûr tout homme qui s’élance sur le glacis qui monte légèrement. Les mitrailleuses et les fusiliers alpins, cramponnés au terrain qui d’ailleurs les favorise énormément en les cachant dans ses broussailles, dispersent toute attaque dirigée sur l’éperon de Soupir et il n’y a pas autre chose à faire qu’à nettoyer complètement le rive du canal des ennemis qui l’occupent. 

Vers 7h00, les fantassins allemands parviennent tout de même à s’infiltrer par les chemins creux et parviennent à anéantir par surprise la section du sous-lieutenant Bernard de la 3e compagnie du 27e BCA qui avait résisté pendant trois heures, mais leur progression ne peut être poursuivie devant la solidité de la défense des alpins. Ce répit est inespéré pour les Français : la batterie d’artillerie de 155 mm qui est affectée à l’appui direct du 27e BCA ne dispose plus que de 100 obus.

L’ultime défense du plateau

Le lieutenant Jacques Romieu
Le lieutenant Jacques Romieu

            Le 6 juin à l’aube, ayant reçu des munitions durant la nuit, portées à dos d’hommes et de mulets vu la nature du terrain, le 27eBCA peut maintenir une défense acharnée quand les Allemands relance leur attaque, mais la fatigue, la chaleur puis à nouveau le manque de munitions ont bientôt raison des alpins qui espèrent depuis la veille l’arrivée de renforts. Sans réserve pour contre-attaquer, les Français ne peuvent que faire face aux infiltrations des fantassins allemands dans les bois. À 9h30, la 2e compagnie du 27e BCA du lieutenant Romieu est ainsi débordée après plusieurs heures de résistance, ce qui créé des fissures dans le dispositif défensif. Pour permettre le repli de ses hommes, le lieutenant Romieu prend un fusil-mitrailleur et couvre ses hommes jusqu’à ce qu’il tombe, atteint d’une balle de pistolet-mitrailleur et d’un éclat d’obus qui le transperce.

À 9h50 l’artillerie française exécute des tirs d’arrêts sur le flanc gauche du 27e BCA qui offrent un répit aux chasseurs alpins, mais les fantassins allemands réussissent à s’infiltrer dans le bois de la Bovette vers 10h20 et se rapprochent du poste de commandement du chef de bataillon Mazaud. Ses officiers et lui prennent alors eux-mêmes leurs dispositions pour mourir sur place. A 12h00, les Allemands débouchent sur le plateau de la Croix Sans Tête : la situation du 27e BCA est critique, mais les alpins continuent de s’accrocher au terrain. Au soir du 2e jour de combat, le 27e BCA a perdu 7 officiers, 5 sections sont hors de combat (tués ou prisonniers) et 80 gradés et chasseurs sont blessés et évacués, tandis que les pertes de la 291e Infanterie-division qu’ils ont affronté s’élèvent à 458 tués et 1139 blessés, essentiellement supportés par le 505e IR.

Le monument des 27e et 67e BCA  ©V-Dupont-CD02
Le monument des 27e et 67e BCA  ©V-Dupont-CD02

Pendant que les chasseurs alpins s’accrochent au terrain entre Braye-en-Laonnois et Soupir, c’est aussi l’ensemble de la 28e division alpine qui défend ses positions depuis Chavignon jusqu’aux rives de l’Aisne, mais le repli est inéluctable après deux jours de combat face à près de trois divisions d’infanterie allemandes. Celui-ci est ordonné à 16h00 mais la transmission des ordres est difficile en plein combat et ce n’est qu’à 00h30 que l’ordre parvient au 27e BCA. Tous les documents exploitables sont immédiatement détruits, du matériel est laissé sur place (1 canon de 25 mm) et le reste est emmené à dos d’hommes. Le 27e BCA rompt le contact avec son adversaire le 7 juin à 02h30 et commence son repli à marche forcée vers Chavonne : il faut faire vite car le jour se lève à 03h30. À 7h00 du matin, ce sont des alpins très fatigués, mourant de soif, dont le ravitaillement a été impossible depuis le 4 juin, avec un armement et des munitions réduites qui repassent l’Aisne.

L’Histoire des chasseurs alpins à Braye-en-Laonnois en juin 1940 s’achevait. Repliés au sud de l’Aisne, ils feront à nouveau face aux attaques allemandes les 7 et 8 juin et contre-attaqueront sur le plateau de Cys-la-Commune avant de se replier sous une chaleur accablante vers Courcelles puis Fismes, suivant la 28e DIA dans son repli jusqu’à l’armistice pour certains, la captivité pour d’autres. Depuis le 31 décembre 1947, un monument de 8,20 mètres de haut réalisé par André Lavorel, caporal-chef au 27e BCA, s’élève à l’emplacement du poste de commandement du lieutenant Romieu. Au cœur d´un champ de bataille dont le relief témoigne encore des bombardements multiples qu’il reçût, il invite à se souvenir de ces hommes qui ont courageusement combattu sur ces coteaux escarpés...

 

Vincent DUPONT
Docteur en Histoire contemporaine
Chargé d’étude scientifique
 
Sources :
SHD GR 34 N 217, Archives du 27e bataillon de chasseurs alpins.
SHD GR 32 N 175 à 181, Archives de la 28e division d’infanterie alpine.
André MAZAUD, Les diables bleus du 27e BCA dans la campagne de France, Annecy, Hérisson Frères Éditeurs, 1942.
Werner CONZE, Die Geschichte der 291 Infanterie-Division, 1940-1945, Bad Nauheim, Podzun, 1953.

 

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