La prise du plateau de Californie, 4 et 5 mai 1917
Après l’échec du 16 avril 1917, le général Nivelle lance toute une série d’offensives sur la longueur du front. Il n’est plus question de faire une percée de 8 kilomètres en 7 heures comme aux premiers jours, mais de prendre les observatoires allemands. Encore une mission où il est clairement plus facile de voir les choses depuis un poste de commandement que sur le terrain.
Au château de Compiègne, le général voit les choses simplement : il suffit de prendre quelques kilomètres sur le terrain, d’avoir une victoire et accessoirement aussi de sauver son poste… Mais la réalité du champ de bataille est tout autre. Les soldats qui ont relevé les vagues d’assaut du 16 avril doivent vivre et organiser leurs positions dans le plus grand chaos, entre la boue, les cadavres et la mort qui rode partout. Leur adversaire occupe toujours les hauteurs, avec des tranchées toujours bien ravitaillées. Comment faire pour prendre ce qui a été impossible à prendre il y a quelques jours ? L’effet de surprise qui n’a jamais existé, existe encore moins maintenant !
Dans la nuit qui a précédé, et durant toute la journée du 4 mai, l’artillerie française a effectué d’intenses tirs de destruction qui font trembler les ruines du village de Craonne, où le 18e RI a relevé le 233e RI dans la nuit du 22 au 23 avril. Avec leurs camarades du 34e RI sur leur gauche, ils doivent tout organiser sur un terrain qui devait être une simple zone de passage. Les soldats allemands sont au-dessus et voient tout. C’est donc la nuit que les travaux de consolidation et de ravitaillement sont réalisés. La journée, les soldats français se déplacent rapidement et baissent la tête. Ce n’est pas le moment de donner une cible à un tireur d’élite ou un observateur d’artillerie.
Le tout est de muscler son attaque, sans se faire repérer et sans se faire détruire. En fin d’après-midi, épaulés par une section de lance-flammes et un barrage d’obus fumigènes, la 10e compagnie du 18e RI réussit à prendre les ruines de l’église de Craonne. Après avoir jeté des grenades incendiaires et suffocantes dans les galeries et les caves, les combattants allemands finissent par lever les bras : 215 prisonniers du 111e bavarois et du 2e régiment de la garde sont faits prisonniers par la division, un exploit qui permet surtout de nettoyer toutes les mitrailleuses allemandes du flanc droit et préparer une base de départ pour l’attaque du lendemain.
Tout est prêt pour l’offensive du lendemain, prendre « le plateau de Californie », le Winterberg comme le nomme les Allemands. Ils l’occupent depuis septembre 1914 et ne sont pas prêts à le lâcher, ainsi que les bombardements de l’artillerie allemande, de plus en plus violente aux dernières heures de cette journée du 4 mai, le laissent entendre...
Dans les lignes françaises, il est difficile de trouver le sommeil dans cette nuit qui avance lentement avant l’attaque. C’est un mélange de crainte et d’excitation. La tension monte peu à peu, à mesure que le soleil se lève et que la nuit s’évapore dans la brume matinale. Est-ce la dernière fois que l’on voit ce si beau spectacle ? Si seulement il n’était pas gâché par la stupidité de cette guerre. La lumière fait plisser les yeux mais réchauffe doucement les âmes. Le temps s’arrête alors quelques secondes. Soudain, le ciel se charge en bruit assourdissant. L’artillerie lourde française entre en jeu. Des obus de 800 kilos passent au-dessus des têtes et vont s’écraser en face. Le réveil du côté allemand va être chaud et brutal. Le café va avoir un goût de fer.
Dans la tranchée, l’air se charge en poudre, en fumée, en terre brulée. La pression monte d’un cran. Bientôt l’assaut. Un coup d’œil à droite, à gauche, la tête dans les épaules. On croise les mêmes regards noirs, enfoncés dans les casques. Sur la montre, encore quelques minutes à vivre. Envie d’arrêter le temps et de savourer chaque respiration et ne plus penser. Ne plus penser à sa famille. A tout ce que l’on va peut-être perdre dans une fraction de seconde.… Les yeux se ferment un instant. On se sent seul, effroyablement seul devant son destin. Il fait froid soudainement.
Coup de feu qui claque dans la tranchée. On remonte brutalement à la surface de ses émotions, on reprend pied dans la réalité. Ce n’est plus le moment de se perdre dans le passé. Déjà vivre encore un peu et surtout survivre… La mort choisira les autres aujourd’hui, peut-être...
Peu avant 9h, derniers préparatifs, machinalement, la main court rapidement sur les poches. Elles sont bien fermées, la culasse est bien verrouillée, la baïonnette bien fixée. Encore quelques minutes et sans rien pouvoir contrôler, le cœur monte dans les tours. Il fait très chaud rapidement. On étouffe dans l’uniforme. La sueur coule, les bras tremblent, puis un coup de sifflet, c’est l’heure... enfin.
Cri libératoire pour sortir de la tranchée, on hurle à la mort son envie de vivre. On ne respire plus, on court. La tête est vide, on avance, on se jette dans le premier trou d’obus. Pas de blessure, c’est déjà ça. Le visage collé au sol, on regarde autour. On voit des uniformes bleus un peu partout et progressant par bond, les nettoyeurs de tranchée viennent faire leur sale besogne, tout ça a l’air d’avancer. Regard circulaire sous la visière du casque, pas de mitrailleuse en vue. On se jette alors dans la pente. Tous les sens sont en éveil, l’instinct de vivre, l’instinct de mort. Prêt à tuer celui qui barre la route. Tuer pour ne pas être tué. La main est crispée sur la crosse du fusil, frêle bâton de pèlerin dans ce tourbillon d’acier. Surtout ne pas croiser le regard de la grande faucheuse. Elle est ivre de joie une fois de plus, aujourd’hui. La guerre est son dessert et le sang son alcool. Elle danse sur le champ de bataille comme la tempête dans les blés.
Avancer encore, monter la colline avec les cuisses qui brûlent et le souffle court. Un arrêt dos à la pente, respirer profondément. Quelques secondes pour regarder, se repérer. En contre-bas, le spectacle des camarades qui avancent en colonne, courent, transportent. La belle fourmilière au grand jour bouge, s’organise dans la fumée des explosions.
On retourne à l’assaut et en quelques pas, le sommet de la colline. Incroyable, le temps s’est arrêté sur le premier objectif. 20 minutes sur la montre. Énorme satisfaction d’avoir réussi, d’être en haut et toujours en vie. Mais la bataille continue, il faut avancer et prendre tout le plateau. Lance-flammes, grenades, en avant. Ce n’est que le début et le plus dur reste à faire. Vers midi, le plateau est une véritable fournaise tant les obus allemands s’y déchaînent, tandis que des compagnies de renforts viennent à leur tour chercher leurs tombes parmi ce qui reste de la première vague. Tenir, tenir jusqu’à la relève...
Pour la seule journée du 5 mai, 320 prisonniers allemands sont faits par la 36e DI, et dans les jours qui suivent, les positions conquises sont organisées sous les bombardements constants et les contre-attaques allemandes, les rangs français se trouvant renforcées peu à peu par de nouvelles compagnies... une relève qui n’en porte pas le nom car ce n’en est pas une...
Après deux jours qui paraissent une éternité à tenir, perdre et reprendre chaque pousse de terrain, le 414e RI relève officiellement la 36e DI sur les positions nouvellement conquises du plateau de Californie dans la nuit du 6 au 7 mai, tandis que ce qu’il reste des bataillons Olivari et Robert du 18e RI, et du bataillon Didier du 34e RI, se « reforment » à l’arrière, comme le veut la formule militaire. Entre le 4 et le 8 mai, le journal des marches et opérations de la 36e DI relèvera 1562 blessés, 472 tués et 2577 disparus. Aujourd’hui le ministère des armées recense plus de 800 hommes tués entre le 4 et le 8 mai 1917 parmi les 18e, 34e, 49e et 218e RI.
Cyril DELAHAYE
Sources :
SHD GR 26 N 328/2 – JMO de la 36e DI
SHD GR 26 N 608/4 – JMO du 34e RI
Historique du 18e RI, Imprimerie Berger-Levrault, Paris.
Historique du 34e RI, Imprimerie Nouvelle, Mont-de-Marsan.
L’année 1917 est importante pour l’armée Française. Le front de Verdun est redevenu calme, le bilan humain a été terrible mais les Allemands ont été repoussés sur leur ligne de départ de février 1916. Un officier français, à la tête de la seconde armée, en est sortie vainqueur : le général Nivelle.
Pour l’offensive du 16 avril 1917, le 2ème Corps d’Armée Colonial (2e CAC) se voit confié un front d’attaque situé en plein centre du Chemin des Dames.
Depuis l’automne 1914, les troupes allemandes et françaises se font face sur le plateau de Vauclerc. Janvier 1915 y voit des combats violents mais ce secteur du Chemin des Dames devient une zone relativement calme jusqu’ à l’offensive de 1917.
Après avoir subi des pertes importantes lors de la bataille de la Somme en 1916, au début du mois d’avril 1917, la 183ème division d’infanterie allemande vient renforcer le secteur des villages de Chavonne, Soupir et Braye-en-Laonnois. Cette division a été créée à Cambrai en mai 1915. Elle est composée de recrues de Prusse, Hesse et Saxe.